mercredi 26 décembre 2018

LE DELIRE ENCORE ou la fille du Capitaine Haddock

Tant qu'à faire !
Et si je me mets à réfléchir, je vais toujours un pont trop loin, par inadvertance. Si on m'empêche d'avancer, je prends presque forcément le mauvais train… Hum… et me retrouve au Luxembourg et pourquoi pas puisque je vis pour le moment à Metz. Et me retrouve en sens inverse. Déjà que ce pays n'est pas grand sans vouloir les vexer plus (et j'y ai heureusement des origines aussi - "les frontières" vous dis-je). Et j'aurai pu me retrouver à Mannheim. Mais là ce serait vraiment une autre Histoire et on ne peut pas s'y rendre en TER. Heureusement pour moi.
Depuis Adolf Hitler d'ailleurs - et les trains sont allés dans tout les sens sans mauvais jeu de mots - qui peut prendre le train tranquillement ? Pas moi. C'est les cheminots d'ailleurs qui ont fait principalement de la Résistance puisque c'est eux aussi qui conduisaient. Et souvent moins les Gentils Polytechniciens. J'en ai rencontré un d'ailleurs dont le père est entré immédiatement en Résistance, le 19 juin. Et dont le fils répétait à raison que les positions prises pendant la guerre étaient complexes cependant. Sauf que pour moi celles des collaborateurs le sont moins. Et aussi celles d'hommes qui se sont dépêchés de tondre des femmes à la Libération.
En regardant des féministes sur Netflix (pub), ou en lisant avant des choses sur elles, je me disais que j'étais effectivement "méchante et sexiste", sans devenir pourtant d'extrême-droite. Non.
Etre une femme, ça n'a jamais été un devenir ou une chose facile et particulièrement en temps de guerre où les viols étaient encore plus simples à commettre. Mais c'est le plus souvent un lourd fardeau et peut-être surtout quand elles entraient elles aussi en Résistance comme beaucoup l'ont fait.
Pensez-vous vraiment que les bombes pouvaient avoir une "bonne" direction ? La "bonne" destination qui serait de tuer les méchants ?
Demandez à ma mère qui est morte à présent, et a hérité sous elles d'un vrai mal à l'estomac, bien obligée de travailler en Allemagne. Et elle en a pris des trains et des bus dans le bon ou le mauvais sens, comme elle me le racontait. Je n'y comprenais rien à force de questions. Ils appelaient ça à l'époque, plus tard et des professeurs, mon "sens de l'Histoire" - et comment ne pas l'avoir avec une mère pareille. Des Malgré nous qui a eu un vrai choix surtout dans notre région, la Moselle ? Et qui a eu l'idée de les appeler fort justement ainsi ? C'est sûrement daté. Années Mitterrand ?
C'est comme de dire que Hergé était un collaborateur et de qui ? Tout les Belges n'ont pas pu partir en Angleterre comme Hercule Poirot mais lui pendant la guerre de 14-18, le pauvre vieux.
Il suffit de lire Tintin, que j'ai lu, mais que je considérais comme une lecture masculine. Ce petit gars qui se baladait partout dans le monde et habillé ridiculement. Je n'avais pourtant pas entièrement tort.
Moi, au Luxembourg j'étais hospitalisée. Et je me suis souvenue de mon chat une semaine avant la fin de cette hospitalisation. Le pôvre chat et qui n'est pas mort fort heureusement. Sinon quoi ? J'aurai pu porter plainte contre la SPA ? Il s'en est bien sorti aussi. 
Quand je relisais les aventures du Capitaine Haddock à l'hosto, je me suis racontée que j'étais bien sa fille, avec tout ces gros mots qu'il peut éructer plus librement lui puisqu'il est un ancien marin Français. J'en suis capable aussi, mais plus quand je suis seule et que je me crois pas entendue. Je n'ai pourtant jamais aimé en dire, à part peut-être m.... bien approprié. Et j'ai continué aussi d'acheter assez régulièrement Charlie Hebdo, les Rois des gros-mots, de la vulgarité.

Et il y a toujours eu des femmes, peu d'accord, qui écrivaient dans Charlie, Sylvie Caster ou Caroline Fourest. Et pourquoi pas ? Elles sont moins courageuses ? Non, elles sont moins fortes simplement physiquement sinon ça se saurait. Alors je continue de m'énerver mais en essayant tout juste d'être plus polie. Mais rester rigolarde pour une personne d'origine italienne est presque un devoir, puisqu'il le faut bien quand on ne veut pas pleurer tout le temps. Surtout peut-être quand on est Italienne puisque les gens aiment se moquer de nous, tout en nous enviant nos paysages.

Les gens de Charlie Hebdo énervent et même après l'attentat ils le font toujours et encore. Qu'est-ce qu'il faudrait tuer ? Tout le monde ? Certains s'y essayent et pourquoi ? Ou affrètent des supposés navires pour Mars, sachant qu'il faut jusqu'à présent 5 ans pour y aller, c'est idiot.
Ce n'est pas les gens qu'il faut calmer, mais certains qui ne pensent qu'à eux. Et veulent faire taire qui? Cavanna ou Choron qui sont morts eux aussi ?
Le terrorisme est presque aussi vieux que le monde et n'a jamais été aimé par les peuples quoi qu'on peut en penser. Mais on a inventé hélas les mitrailleuses. Et avant croyez vous vraiment qu'il n'y avait que les Anglais pour "tirer les premiers" ? Non.
Et maintenant il y a l'internet où l'on peut encore écrire sur des murs.

Au Luxembourg j'y ai fait des collages avec beaucoup de "scotch d'infirmier", comme je continue de l'appeler, puisqu'une Amie infirmière m'en rapportait déjà de l'hôpital Parisien où elle travaillait. Je l'y ai emmené une fois - et pas deux - en mobylette (une mob de la poste recyclée que l'on m'a bien sûr volée). Et cela ne s'invente pas autant que les gens pourraient l'imaginer.
Le Grand-Duché du Luxembourg (Noël)


Alors que faire ? Ne pas écrire ou écrire n'importe quoi comme c'est la cas alors ou toujours ? Ne pas regarder la télévision ou regarder Netflix qui est aussi violent pourtant ? Tout est violent et pas seulement les informations.
Peut-être pas Jean-Sébastien Bach et c'est au moins ça. Et si les musiciens mettaient moins de bémols ou de dièses - dit la râleuse que je reste - peut-être que je jouerai plus de piano.
Oui je suis énervée quand j'écris, mais pas seulement. Et je n'ai pas toujours mal à l'estomac. Si la vie était simple les gens le saurait non ? Et les frontières sont toujours poreuses encore aujourd'hui. Et si je n'écrivais pas je serai peut-être plus énervée, je parlerai plus à voix haute comme le font les gens (et seulement quand on est d'origine italienne ?) qui sont plus seuls que les autres.

Alors quand les choses vont mal, oui je me pose trop de questions, et un peu comme tout le monde. Demandez à Anton Pavlovitch Tchekhov ancien médecin que je cite si souvent. et qui avait tellement besoin d'amour comme il ne le disait jamais. Et qui boudait, malade de la tuberculose quand il n'y avait pas de vaccin - et il y a des gens pour ne pas vouloir faire vacciner leurs enfants… Et alors pas voyager non plus ?
L'élégant Anton Tchekhov

Pour bien faire il suffirait peut-être d'abandonner. Il suffirait de ne pas écrire. Il suffirait aussi de ne pas naître.
Et là ce ne sont même plus des questions.
Si on veut faire taire tout le monde qu'est-ce qu'il faut inventer ?
Les haineux ne sont même pas que sur internet ni même les fautes d'orthographes. Et dans l'édition il y a aussi des correcteurs fort heureusement.
D'ailleurs Michelle Obama (en italien si on écrit Michele, c'est un prénom masculin, renseignez-vous) a écrit un excellent livre et pas pour personne non plus puisqu'elle est aussi vendu dans les grands-magasins. Ce qui est tout de même une bonne idée et bien pratique, d'autant que les librairies existent toujours aussi. Ca simplifie au moins ma vie.
La vie continue Je ne m'étais même pas rendue compte - bête encore - que les enfants d'Obama grandissaient aussi. Mais oui ma mère n'est plus là pour me le rappeler et oui que je devrai faire attention à ce que je peux dire. Mais elle aimait me lire elle. 
L'infirmière qui m'a annoncé sa mort a été douce. Et je ne fais pas un deuil pathologiquuuuuue, mais un deuil éternel, lui. Comment faire autrement ?
En n'écrivant plus ou plus ? C'est fait. En regardant la télévision. Salut !

P.S. : Je me souviens que ma grand-mère (1900-1972) disait en Français, comme elle le faisait parfois, à ma mère : "Mais laisse la faire…". Inspirée elle, pour de bon.

jeudi 20 décembre 2018

LES SIX VAGUES




Est-ce ce qui pouvait m'arriver de mieux ?

La première vague.
Je suis âgée de quelques semaines, embryon au coeur de l'action.
Insurmontable et une première, au moins pour moi, finalement pour eux aussi mes parents. L'océan jusque-là avait été à peu près calme, sinon cette agitation qui semble être un des fondements de ma mère. Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qu'on me veut ? Je décide de ne pas répondre tant qu'on ne me donnera pas les motivations qui ont fait venir une telle houle.
Dans le ventre de ma mère c'était impeccable jusque-là et même les échos qui me parvenaient du dehors. Les vaches qui meuglent (mes parents ont travaillé dans le café des anciens abattoirs de la ville de Metz dans les années 60, et si tant est qu'un embryon entend), les bruits de ma mère qui bosse dans la cuisine et ses rages parfois. Il y a de la vie dans la vie avec cette femme-là. Parfois dans cette espèce de nuit, je les entends murmurer. Il y a du boulot et parlent de moi aussi. Celle qui va devenir ma mère vocifère, plaisante, rit. Aime. Il a l'air de s'en passer des choses...
Ils ne veulent pas de moi, les deux, du moins c'est ce qu'ils sont en train de se dire. Fardeau, ça commence ainsi. Comme dans les contes si exactement. Gênée, et cette vague qui veut tout dire. Hop ! Je surmonte, sursaute et me passent dessus des éléments de chimie envoyés. Je bois la tasse. La vague est venue et a crue tout emporter. C'était mal me connaître, en ma qualité d'enfant-poissons.
Synergon : « Il contient un oestrogène et un progestatif, il intervient dans le traitement ponctuel de l'arrêt des règles chez une patiente non-enceinte ». Six injections, comme ma mère le dit au médecin, montrant sans aucun doute qu'elle sait ce qu'elle veut.
« Combien d'injections? Lui demande le médecin.
- Six Docteur.. !? » Au pif. Elle m'a raconté souvent comment elle avait été maline.. à moi, rigolarde aussi finalement.
Ils savent alors tous deux, le médecin et ma mère, que ça marchera, ou pas. Ce qui est attendu ou plutôt refusé. Ce médecin aura au moins posé la question en toute discrétion.
« Six piqûres... » et c'est dans la poche. Ok, la dame sait ce qu'elle risque. On y va ! Nous sommes vers la fin de l'année 1959.
Synergon : « Certains produits pharmaceutiques sont aussi réputés pour leurs propriétés abortives. Il s’agit essentiellement de médicaments déconseillés en cas de grossesses et utilisés en surdosage : les antipaludéens (la nivaquine, la quinine), des hormones (comme le crinex, le synergon) ».

C'est possible tout ça, toute cette fin programmée puisque je ne suis pas entièrement fabriquée, pas finie, un petit machin qui s'agite à peine, au gré de la mère, et s'efforce de se maintenir à flot. Alors ce n'est pas si grave. Et je ne défilerai toujours pas à l'avenir avec les défenseurs de la vie des foetus, quand déjà ils n'aiment personne, eux, et ne se doutent pas que c'est bien plus compliqué, bien plus douloureux. Après la Loi de 1975, se faire avorter devient presque un rite de passage, aussi mal protégées déjà ou encore.
La première piqûre je pense est la plus difficile et peut-être la dernière autant, et toutes celles qui me viendront, les quatre autres auxquelles je ne me peux pas m'habituer. La piqûre est un univers médical qui me désigne. Ils me font junkie, mais accrochée à quoi ?
Fantine (Les misérables de Victor HUGO)

La deuxième injection, c'est un autre rendez-vous qui devient une habitude. Même heure et même lieu. Une odeur de chlore, un truc d'asepsie qui hante. Le médecin n'est plus là, c'est une infirmière qui prend le relais. Une bonne-soeur rien que pour moi... Vous m'en direz tant ! Elle fait le job.
Et ils espèrent qu'un jour je leur donnerai du « Ma » soeur ?
Jamais.
Rien, pas même un « mon » commandant, un « Maître » au sujet des avocats ou « Docteur » pour les médecins.
C'est ridicule et je leur ris au nez, c'est ce qu'il me reste de la houle.
Parce qu'ils auraient ces fonctions-là je ne m'en moquerai pas ? C'est originel, comme dans Molière. Diafoirus ou Tartuffes, ils ont tous menti et la loi avec.
On reconstruira ensemble... Enfin quand ce mot-là aura à nouveau un sens pour moi. Ou pour vous.
Waouh ! Une autre vague à peu près similaire, comme si je devais dormir, leur filer entre les pattes, m'exclure à coup de progestérone. Je n'entends rien quand ces substances passent en moi, me traversent et s'en vont. Un vrai silence de mort, jusqu'à me demander ce qui me reste. Amibe désemparée cherche issue. Alors que je suis bien accrochée là et aussi à un cordon déterminant.
La deuxième piqûre, c'est aussi que les gens sont décidés à aller jusqu'au bout. Alors quelle peut-être ma réponse. « J'arrive !? » Je n'ai jamais rien fait d'autre.
Stella-Plage

Pas seule à l'avoir reçue la deuxième.
En 1921, le Synergon sévissait déjà – et je le sais de source sûre – utilisé aux mêmes fins, l'avortement.
C'est en toute lettre maintenant sur l'internet. Sacrés chimistes !
Je ne sais plus quand ma mère m'a avoué ce crime (puisqu'elle aimait s'essayer à dire « tout »), comme étant d'ailleurs le leur à mes parents. Et c'est bien après que mon père soit mort, bien plus tard que je l'ajoutais à la scène. C'était simplement vertigineux. Avant, je n'y avais pas pensé parce que tout cela se passait physiquement entre ma mère et moi.
Elle me l'a dit comme une sorte de laisser-passer. Un message depuis le faire-passer... C'est ainsi que je le considère. Un miracle qu'elle l'ait fait, me le dire, et je le sais mieux encore en vieillissant puisque ça m'en donne la possibilité. Ma mère consciente que certains secrets peuvent tuer et je ne sais trop comment elle pouvait savoir cela.
Mon père ce héros n'attendait sûrement pas dans la salle d'attente, ça m'étonnerait. A la rigueur dans la voiture, tout cela ne prenant pas beaucoup de temps.
C'est d'ailleurs aussi après ma naissance que mon père conseilla à ma mère de passer son permis. Un fond d'indépendance. CQFD.
Ne redoutez-pas les gros mots, puisque certains disent vrais quoique vous déconstruisiez. Les faits et rien qu'eux. C'était un crime au nom de la loi et ne parlons pas du fait religieux ayant ses propres lois. La bonne-soeur s'en fiche, elle fait son boulot.
Peut-être est-ce à la deuxième piqûre que j'imagine que j'ai mon mot à dire. Et le silence de mort qui règne quand je suis absorbée, finira-t-il par m'effacer finalement ?
Ainsi longtemps j'ai exclu mon père de ces tentatives de meurtre – dixit Dolto dans je ne sais quel ouvrage, puisque je n'ai pas noté, mais où elle parle bien oui de «  tentative de meurtre ». Shoking..? Juste parce qu'elle écrit simplement la vérité ? Et là il n'y en a pas d'autre.
A chaque injection, ils se sont demandés si ça allait marcher. Rien ne vient et surtout pas le sang. Six balles dans la peau. C'est pas pareil ? Des euphémismes ?
J'ai bassiné mes proches avec cette histoire. Mais je voyais bien qu'elle ne les intéressait pas.
Et je pense que ma mère me l'a léguée en état d'urgence. Être enceinte n'a jamais été son kiff. Des accidents, nous l'étions tous les quatre. Certains étaient flashés.

La troisième vague. Au secours ! Ils persistent et ma mère doit deviser à peu près joyeusement avec la frangine. Si c'est six piqûres, ça ne marchera pas à la troisième. C'est à moi de jouer.
Le silence de mort dont est fait chaque instant, cette comète de progestérone contre laquelle je dois me battre pour qu'elle ne me gagne pas en entier. A mi-chemin je m'interroge. Peut-être ai-je déjà deux neurones ? Je souffle en moi-même, me faisant aussi grosse que le boeuf.
Ça va marcher.
Je savais, je la connaissais cette histoire qu'ensuite ma mère me racontera à l'envie comme je la questionnais. Même si ça restera quelque chose que je ne comprendrai seulement que pas à pas. Pas la fin du monde puisque j'y suis entrée. De mon plein gré. Personne ne pourra m'enlever ça. J'étais décidée et me suis musclée contre ces atteintes à ma personne qui n'était encore personne.
Ce n'était pas de haine dont-il était question les concernant mes futurs parents. Loin de là. C'était la présence d'autres questions, de nouvelles, comme la perspective s'installe précocement et pour de bon.
La haine seule ? Je ne serai pas là.
Si le choix existait pour quelqu'un, c'est bien pour moi. On me menace, je tends le dos.
Ces deux-là et leurs murmures blessés, je décidais d'essayer de m'en approcher encore, malgré tout. Qu'est-ce qu'ils diraient encore pour que je ne participe pas à cette histoire ? Comme si j'avais aussi un droit de vie ou de mort. Je décidais d'attendre. Pas sûre d'avoir la résistance désirée.
Qu'est-ce que j'ai perdu ? Et ne serait-ce pas une sorte de carapace, un truc qu'on m'aurait ôté au dedans. Maintenant plutôt au dehors, bien sûr. Fiévreuse.
Alors un des jours les plus important de ma vie peut-être, je le feuillette, je le trouve dans un livre (on s'étonne que ça sauve, ou pas, mais moi j'en suis certaine). Autre rencontre décisive et fortuite. Jusqu'à aujourd'hui, comme on grandit auprès d'un cèdre.
Je suis en vacances et me suis achetée Le vif du sujet de Edgar Morin. Pour le titre et parce qu'il va y raconter aussi sa vie. Je le connais peu, mais dans les années 80, il en est question. Son nom résonne déjà puisque le livre date des années 60. Il y raconte son histoire, ses idées en y mêlant tous ces questionnements à la fois. Arrivée au premier tiers du livre, je vais plus loin au hasard et tombe – pas moins – sur le mot Synergon. Qu'est-ce qu'il raconte ? L'histoire des vagues ? Enfin à peu près. Les siennes et donc les nôtres. Les miennes.
J'ai toujours senti dans ces six injections qui nous ont marquées, et donnaient à ma naissance un caractère shakespearien, comme l'histoire de la forêt qui s'avance dans Macbeth. Prédiction, prédilection, prophétie. « L'homme qui ne sera pas né d'une femme »... Ceux qui auront passés les six vagues…

Quatrième injection. Pouvais-je acquérir autre chose qu'une mémoire telle que la mienne à ce moment-là justement ? Du silence que des progestérones auront convoqué, à l'irruption du souvenir et comme il vous colle parfois, et celui de l'avenir. On ne revient pas de tout.
Toutes les répétitions se font sentir. La mémoire devenant une vision et s'y autorisant pour pouvoir rester. C'est l'avenir, le nôtre, qui est en jeu. Cet homme cette femme, père et mère, et dont les murmures finissent par enchanter. Ils sont inquiets. Et à la quatrième piqûre, je ne suis pas sûre de pouvoir imaginer, peut-être déjà leur déception. Et autre chose. On sait que le procédé ne marche pas à tous les coups.
Cette espèce de culpabilité, ils l'ont d'avant. Pas forcément me concernant seule. Pas au point de ne pas m'accueillir à la fin. Puisqu'on connaît la fin et qu'elle s'écrit.
Les fausse couches n'ont pas du tout le même sens pour des gens qui sont nés dans les années 20 qu'aujourd'hui, tout de même plus monnaie courante qu'à notre époque. Et pour d'obscures raisons parfois aussi.
Je dis qu'en certains cas – et pas ceux qui détruisent en pancartes stupides d'une vie dont-ils n'ont même pas idée – il faudrait expliquer qu'un enfant ce n'est pas si sûrement un drame, moins tragique qu'au moment où on veut le faire passer. Être parent est une histoire et pas un instantané. Peut-être ce qu'il y a de plus important à raconter à ces parents d'aujourd'hui. La perfection c'est à la mort qu'on sait à peu près la mesurer. Tout n'est pas si facile ! C'est la croire sans mouvement que de vouloir parfois échapper à la vie. L'avenir le dit.
Nous sommes des avortons, Edgar Morin et moi-même au sens quasi littéral.
A l'époque je suis déjà flattée et pas seulement. Soulagée aussi, infiniment. Deux naissances shakespeariennes s'annulent et c'est le plus beau cadeau qui puisse m'être fait.
Je ne lirai pas son livre en entier, j'avais trouvé ce que je cherchais et ne m'y attendais pas. Un vieux compagnon. Et maintenant qu'il s'accorde autant de vie, me touche, m'absorbe et me donne beaucoup d'espoir, quelque chose d'apaisant. La vérité de la vie qui gagne. Comme à la fin de toutes les belles histoires.
Nous serons heureux et aimerons beaucoup d'enfants, longtemps, toujours. L'avenir à partir des frasques du présent qui se fonde dans nos passés.
C'est pas que je m'y suis accoutumée à ce flot qui passe en quelques secondes mortelles. Imaginez les shoots que cela représente et mon rapport avec cette pratique qui fait la mort souvent. Trop. C'est en trop. Ma nature qui mute en savoir à force et pour y rester.
Et j'inaugure ainsi mon futur : la question du en trop.
M'interroger tout du long, et forcément sur ma place. Celle que je prends ni ne vole à personne. Alors sur celle des autres autant. Qui suis-je et dans n'importe quel conflit puisqu'il s'est ouvert tôt ? Et nous concerne tous.
On apprend de la mort et elle est aussi dans la cinquième injection, pas moins. S'habituer ou crever. On en viendra à bout. Et cette petite chanson là, entendue comme il va être question de vie ou de mort. On a gagné, presque. Tout devient concret comme la vérité. On nous a laissé ce choix-là et nous saurons être reconnaissants, parfois.
Quand la mort n'est qu'une tentative, la même option et là de vie. Quinze ans plus tard, j'aurais été aspirée. Alors je ne peux pas être indifférente à la question de l'avortement. To be or not to be... Une question pas si métaphysique me concernant. Mais je remercie Madame Simone Veil qui a souffert de la mort d'enfants comme nous toutes.

Edgar Morin raconte la suite de l'histoire, puisque cette suite là aussi nous est commune. Et je suis étonnée par son audace, enfin celle de fouailler dans l'intime d'un tel début, d'une telle résolution.
Il naît par le siège. Nous le faisons, pareil. Il est fils unique, je suis la dernière de quatre enfants.
Le siège, c'est s'asseoir comme on va prendre le temps, impatient de vie.

Sixième déflagration. Argh !!! La dernière qui nous emportera, plus par un effet de répétition que pour le produit en lui-même peut-être. Sixième fois et basta ! Ils insistent tous : mon père, ma mère le médecin et la bonne sœur. La scène.
J'annule, j'abandonne et puisque je n'existe même pas, ça paraîtra plus facile.
Six. Ça y est je sais compter, au moins jusque-là et de naissance. C'est la bonne.
Non pas par césarienne. On pourrait presque dire l'inverse. Le siège, traverser en boudant et se refermant sur soi-même. Pliée de naissance et nue déjà, je vous affronterai de par mon séant d'abord et c'est ce que vous saurez, apprendrez, et qu'on y est jamais si bien assis.
« Ça faisait mal ! Le pire accouchement ! » (et elle a des éléments de comparaison elle). Euh... enfin il paraît que l'enfant en cette situation a mal aussi. Un passage. C'est cet intérieur auquel la tête échappera en dernier. Mystère. Refus. Signal.
Nous avons fait le siège bien sûr – et bien obligée de la noter celle-là – bientôt assis lui et moi là-dedans et si le mystère est si grand, feignons de ne pas l'ignorer. Il pourrait même devenir intéressant. Ça se décide.
Cette vague-là, non, chaque vague a le profond goût de la mort et d'être allé jusqu'au bout de la prescription.
On l'aura voulu. J'arrive, déjà gênante, au point que c'est d'abord leur histoire quand je commence la mienne. Je serai une gêneuse de talents du moins je l'espère.
J'aurais mal mais ça ira. J'ai connu ensuite à peu près 7 mois plus calmes (façon calme d'une femme comme ma mère) et de ces gens, mes parents, pour qui la vie continue, alors en moi aussi.
Ils me donneront pour marraine la fille de l'amie qui leur avait conseillé le Synergon, comme si j'allais oublier... Mes frères et sœur auront des parrains ou marraines de la famille, pas moi. Ils avaient tous des autres prénoms, au moins deux, pas moi. J'étais fécondée enquêtrice.
Je suis vivante comme après le passage de six rouleaux d'une flotte qui puaient la mort aromatisée space. Elle nous abandonnera, nous questionnera plus qu'ailleurs, en trop, de trop. Mais nous nous sommes maintenus et en vie. L'espoir est à la tête de l'embryon. Il y restera scotché l'ardent désir de dire la vie, plus peut-être que de la donner. Elle se donne. C'est ainsi.
Il y a au début de Dune de Frank Herbert, le jeune Paul, fils de l'empereur Leto qui est le premier garçon à avaler une potion adressée aux filles jusque-là. Sa soeur traversera le breuvage aussi. Il lui donne la vie, et celle d'un voyant autant. Ou le tuera. Le passage de ce truc mythologique avalé, entraîne le jeune Paul jusqu'à l'infini, le bout de la vie, la souffrance, l'entrée en mort, l'absolu déchirement et le choix. C'est lui qui se rend à la vie, la reprend. Le début si on y est confronté ainsi, qu'en sera-t-il de la fin ?
Edgar Morin n'a pas encore décidé ni même renoncé. Moi non plus...
David Lynch aurait du d'ailleurs choisir un enfant proche de l'adolescence au moins au début de son film au lieu d'imposer son acteur fétiche. Et cette scène-là n'apparaît pas dans son film. Elle est si frappante juste au début de l’oeuvre.
Essentiel à se croire mythique, archétypique, par un je ne sais quoi qui veille constamment. L'esprit, si largement ouvert. Il devient peut-être saint, le Saint Esprit comme ils disent, de par sa présence fondamentale dans tout échange, tout commerce. Jamais vraiment bien comprendre ce troisième larron, l'esprit qui devient saint ?
L'autre restera cependant toujours quelqu'un qui murmure un abandon, une chute, une défaite, un crime. Pas seulement une parano désignée, mais quelque chose de nuisible auquel nous n'avons pas forcément envie d'avoir affaire. Ça va. Le meurtre du père, oui, et son sacrifice. On y est. Un banal mouton noir. Vous n'allez pas nous chercher ?
Si j'ai choisi ces parents-là, comme le suppose aussi à tort Madame Dolto, qui m'ont laissé, donné le choix d'une manière aussi abrupte que violente en fin de compte, c'est qu'il n'était pas question d'ennui entre nous. La curiosité, résultante principale d'un avortement avorté, vous pêche aux origines. Et si je reste, ça reste chaque jour ma décision. Comme tous ?
Oui. 
autobianchi, la presque pareille voiture que celle de ma mère..

Ma réconciliation d'avec mes Parents n'est pas si récente. Je suis heureuse d'avoir été adoptée en quelque sorte par mes propres parents, visiblement. J'en mesure tôt l'intérêt. Ce n'est pas différent pour tous. Ni les pères ni les mères ne le sont d'un coup de baguette magique et parce qu'ils seraient simplement désignés ainsi, parents.
Pour la plupart leurs préférences comme leurs lâchetés puniront leurs descendances, leur feront du mal. Les limites qu'ils se contraignent à mettre à leur imagination, ce frein qu'ils manient mal, bien plus qu'ils ne souhaitent l'imaginer, les encerclera et leur ôtera finalement à eux aussi la paix qu'ils quêtent. Paix d'un sur-place qu'ils mobilisent. Prétendre aimer quand on se cantonne.
Quand on a pris cette décision de se cantonner l'un ou l'une, c'est sur tous les autres qu'on prétendait défendre ainsi que ça retombe aussi. On ne peut jouer deux comédies à la fois.
Mes parents étaient sincères et le restèrent.
C'est cela même qui me tient maintenant, devenir un érable aussi acharné qu'un pissenlit. Renaître chaque jour.