mardi 13 novembre 2018

LE PROCUREUR







TROFIMOV : Elle ne devrait pas se mêler de ce qui ne la regarde pas. De tout l'été, elle ne nous a pas laissés en paix, Ania et moi, de peur d'une romance entre nous. En quoi ça la concerne ? En plus, je n'y ai même jamais songé. Je suis si loin d'une telle vulgarité. Nous sommes au-dessus de l'amour !
La Cerisaie Anton Tchekhov (1860-1904)








L'Italie retrouvée.
On dit beaucoup, et pas seulement Boris Cyrulnik, que les psychotiques ne sauraient pas mentir, par exemple. C'est faux et c'est une bonne blague de plus. Je ne suis pas sûre de comprendre. Ou peut-être n'ai-je pas la bonne définition du mensonge.
Les psychotiques sont un monde dans un monde et où la diversité y a autant sa place jusqu'au mensonge, la brutalité, la mort. Comme ailleurs. Sinon qu'elle s'exprime autrement mais brûle autant.
On m'avait dit aussi, tiré de je ne sais quelle lecture en diagonale, que les psychotiques seraient des saints. Un truc dans Lacan que j'ai cherché sans trouver. Une généralité audacieuse qui m'arrangeait drôlement. J'allais rencontrer le monde des bisounours. Et je voulais y croire. J'aime me tenir sur des hauteurs idiotes.
Et quand je me mets une idée dans le crâne...
J'en étais arrivée à penser que cette tare douloureuse, ce qui était irréparable et définitivement moche, avait son issue. Nous aussi avions alors notre ordre de route et sa feuille. Des saints ? Pourquoi ? Et pourquoi pas, ça m'arrangeait bien. Parce qu'ils ne sauraient ni être menteur ni méchant. On va le voir.
Le néant dans lequel ils nous confinent, comme si l'étiquette de dingue rassemblait une seule et même chose obscure, la seule folie qui annule tout et toutes les nuances affreuses parfois et décisives.
Quand nous nous sommes rassemblés, reconnus et grâce au net, j'ai bien cru que les lendemains radieux étaient venus. J'allais arrêter de me poser la question du mal. Quand même ! On n'est pas des pervers... La perversion traverse tout et n'importe qui, elle s'additionne aux malheurs, si on veut compter.

L'une des premières personnes que je rencontrais, en vrai, schizophrène de son état – la cerbère du forum très privé d'Atoute réservé justement exclusivement aux vrais schizophrènes, plus fragiles disaient-ils, mais dont on pouvait lire toutes les interventions à ciel ouvert. Elle bossait par ailleurs à un haut poste chez le France Télécom d'alors. A cette l'époque où on n'arrêtait pas de s'y suicider, vers le milieu des années 2000.
Elle avait l'air forte et déterminée, sûre d'elle. Après le déjeuner, nous faisons une petite halte dans un café sous les arbres.
La voilà soudain les yeux dans le vague, entrant en elle-même ou quelque chose de bien plus étrange.
Je me demande si elle ne me fait pas une démonstration de cette schizophrénie qu'elle sait si bien mesurer chez les autres puisque c'est elle qui donne les laissez-passer. Et pour voir quoi ? Une peur quelconque ? Me voir embarrassée ? Ce fût le cas. Et elle s'excusait le lendemain. Roulée dans la farine, un métier. Suis-je aussi stupide qu'on se décide de tenter de jouer un tel jeu, les normaux ou les autres ? Ça commence bien...

Oui, l'Italie c'est ce que nous avons reconnu lui le procureur et moi, au premier coup d’oeil. Un pétillement de l'iris. Mais quelle Italie ? On va en parler. Cette Italie dans nos regards, comme si nous avions forcément quelque chose à partager. Et c'était le cas. Des Pays, comme une logique en nous. Un passé que nous ignorions, et se rejouait sans que nous le sachions vraiment. Même si l'un et l'autre nous avions des pistes.
Le procureur s'avançait aussi amène qu'il le pouvait, mais soudain, aussi vite qu'un transformiste, il pensait que vous étiez son pire ennemi. Changement à vue d’oeil qui aurait épaté les contorsionnistes. Mais au début, ni même lui d'ailleurs ne le savait.

Nous avons commencé à parler avec un tel bonheur et de cette Italie qui nous soudait. Il avait un petit appartement formidable (avec un jardin) dans le 19e, un HLM parisien, et payant à peu près 40€ chaque mois pour s'acquitter de son loyer. Pour nous tous et lui c'était Byzance.
Il semblait ouvert, généreux. Je lui apprenais qu'astrologiquement il avait un thème astral tellement chanceux, si aussi rarement chanceux à ce point. Et bien ça n'avait pu seulement que le conserver dans cette paresse dont-il était fait, satisfait presque et pourtant tellement envieux, on y viendra aussi, peut-être. Un trait de caractère au sillon profond.
Mais la chance peut-être aussi traître que la lose. Un jour on s'aperçoit qu'à force de facilités on a fait que du sur place, attendant seulement que le destin vous fasse encore prendre la meilleure voie et pour vous seul. Laisser faire sans direction puisque ça tourne toujours bien, finalement. C'est ça qu'il avait fait de sa chance, un noman's land qui finissait en fâcheries dingues parfois. Dont il se foutait, les choses s'arrangeraient naturellement.
Il était tout de même malade, ce qui est loin d'être une chance. Et issu d'un milieu plutôt misérable – l'hérédité finissait gravement responsable – et qui lui faisait horreur, dont-il essayait de parler avec une sorte de distance, dont il avait principalement honte.
Mais drapé dans un costume de procureur, il dépassait, allait au-delà d'un ancêtre qui aurait vraiment eu cette place-là. De procureur. Il aurait voulu chasser cette erreur d'un monde auquel il n'avait jamais appartenu et d'un revers. Mais bientôt je découvrais que les choses n'étaient comme d'habitude pas aussi simples, n'étaient pas les mêmes, pas semblables à ce que l'on pouvait dire d'elles.

Monsieur Cyrulnik vous avez largement tort. Les psychotiques savent aussi très très bien mentir. Vous n'avez vu que des hospitalisés ou quelque fois certains de ceux qui en sortent, seulement de l'hôpital, et vous jouent bien des tours croyez-moi. On est tous plus menteurs les uns que les autres, à tâtonner des réponses en espérant qu'elles ouvrent les portes. Autant que les fameux informateurs des premiers anthropologues. De la rigolade et se moquer de tous ces savants qui collectaient seulement des renseignements, sans même apprendre la langue de leurs objets d'études. On le sut tard.
Un jour ensemble, le procureur s'exclame : « Tu parles comme ça à ta mère ?! » Et je n'ai pas compris, sans l'interroger plus avant, comme parfois. Comme des clignotants qui s'allument et ne s'éteindront que quand on sait qu'un danger vient de passer. Comme on ne réveille pas les volcans impunément. S'il le dit...
Le procureur était disait-il, et là cela devait être vrai, suivi par un psychiatre de renom qu'il n'avait besoin de voir qu'à peu près une fois par an, peut-être moins ou un peu plus, et grâce à qui il avait certaines ordonnances en cas de panique. Puisqu'il racontait aussi que presque chaque été, et quand il descendait aux environs de Nice, le région de ses parents où il n'avait jamais vraiment l'impression d'être reçu, l'ayant sans doute espéré, chaque fois ça finissait en errances folles. Il en arrivait à déjanter quelques jours, et reprenait un traitement qui calmait assez vite le jeu. Être capable de se détecter ainsi n'est pas donné à tout le monde. Il savait et se soignait presque seul.
Sinon le reste de l'année il ne prenait quasiment pas de médicaments – nous étions à la fois étonnés et admiratifs. Il commençait à fumer des joints à partir 17 heures environ, une heure où il n'imaginait plus avoir à sortir. Et c'était sa principale médication.
Il pouvait être alors réellement zen, au moins en avoir l'apparence. Mais il conservait certains des effets secondaires du cannabis, pour quelques uns et seulement au début pour d'autres, de cette parano qui nous prend parfois ou en particulier quand on sort. Tout le monde va deviner et que nous sommes dans l'illégalité... « Vérité en deça des Pyrénées erreur au-delà... » comme le disait Montesquieu. Alors contenir la peur d'être percé à jour. Le délit de fumer et la crainte de ne plus contrôler exactement ses réactions entre autre ralenties, la défonce qui ramène à l'étrange d'où nous sommes. Ça va se voir. Tout est là. Et contre le « vin-mauvais » en vente libre.

Le procureur était chaleureux et intelligent. Il vint pourtant vite le temps où il ne me chercherait que des noises pour je ne sais quel profit ? pour quel plaisir ? quel malheur ? Et à tous. Comme à la recherche d'une voie.
C'était drôle jusque-là d'avoir rencontré tant de fadas et en avoir fait des fêtes en quelque sorte de retrouvailles, au début, et que j'organisais principalement, qui se déroulaient dans des cafés autour de chez moi. Nous, eux plus, à moitié gênés de se trouver entre nous, rassemblés, et peut-être à finir montrés du doigt par les autres qui allaient deviner. La parano de chaque fou : être lu sans le savoir.
J'ai vu que des rencontres organisées de jeunes autistes existent aussi, autres bons fruits de l'internet. Même si cela peut être décevant cela change complètement la donne.
En folie, j'ai l'énergie du désespoir. En folie, je veux surtout que tout le monde s'en sorte, mieux qu'ils ne l'avaient prévu. En folie j'invente au fur et à mesure. Et suis prête à tout.

Ensuite je rencontre C. une fille de ce même Forum qui nous avait tous réunis, et que je retrouve au Saint-Jean, un café encore à deux pas de chez moi. Elle est belle et vive. J'avais pu constater qu'astrologiquement, nous étions en phase, sinon qu'elle avait pratiquement le même thème qu'une personne si proche de moi et s'était défenestrée, il y a si longtemps. Puisque c'était avant ma maladie. Et qu'après le temps compte double. Agitée aussi.
Cette fille que je rencontrais, cette amie qu'elle devint, était supposée arrêter de bosser et obtenir l'Allocation pour Adulte Handicapé qui allait prendre le relais. Elle était au désespoir. Je ne comprenais pas. Elle qui me sautait dans les bras comme une vraie enfant de trois ans, drôle avec un très beau sourire d'enfant, là elle tombait. D'une désignation dont elle ne mesurait pas tout, quand j'ai toujours considéré cette allocation comme un dû. D'une résignation finalement qui pouvait l'entraîner loin d'elle-même.
Être désignée ainsi comme folle, là c'était vraiment pour elle la goutte d'eau de trop, qui l'abîme et le fait lentement comme quelque chose qui ronge.. Borderline, on lui avait dit ça jusque-là. Le fourre-tout le plus pratique qu'on ait trouvé. Au bord. Mais rassurant finalement comme un fourbi.
Elle qui avait rencontré la maladie bien plus jeune que moi. Qui était parvenue à rester un an dans une clinique, comme si elle était le meilleur refuge. Impensable pour moi.
Je la vis perdre pied au fil des années, son grain. Travailleuse handicapée, c'est ce dont-il aurait pu être question. Mais même, c'est le mot handicapé qui heurte, nous trahit et nous déchire, bien plus que vous ne l'imaginez, et tous. Passer son temps à survoler, tournoyer, s'effondrer rien qu'à penser à notre maladie mentale. M'enfin c'est bien le pire, l'innommable et pour de vrai. Et finir par ne revenir plus qu'à elle, la maladie, un bouclier qui finit par nous éteindre.

La maladie du psychisme qui nous afflige définitivement, nous défend, nous épie, nous ruine et nous ronge. L'expression du rejet. Elle se pensait moins malade et ni la boulimie-anorexie ni ce diagnostic qu'on lui avait plaqué auparavant, ne la laissait autant dans la maison des fous. Sur le carreau.
Sur le Forum, nous étions classés dans la rubrique Santé-Psy, plus mélangée (dépressifs, borderline, maniaco-dépressifs, enfin tous les problèmes psychiques souvent mal jugés, sinon la fameuse schizophrénie, le plus difficile pour des plus fragile, d'où ce Forum spécifique dont je parlais plus haut).
Pas aussi folle... On aurait dit qu'elle se tordait de l'âme comme on le dit de la douleur et des vers. Et je pense que c'est quand elle a constitué son dossier COTOREP qu'elle est entrée en dépression durable.
Mais nous tous. Au centre de tous les diagnostics, il y a notre refus et de la mort dans l'âme, d'être tous foutus pour jamais.

Alors nos fêtes avaient la joie triste. Au coeur de Montmartre, se rassembler c'était aussi essayer de faire croire que nous prenions le soleil en terrasse comme tout le monde. Combien de gens ai-je entendu me dire quand j'évoquais nos maux de l'innommable à voix plutôt haute : « Moins fort, ils vont entendre... » Qui ?
J'ai longtemps – et là encore Françoise Dolto zone dans ces parages et c'est rare qu'elle ne soit pas si loin, mon fil rouge – examiné ma honte d'être folle, puisque c'est ce qui arrive en premier. Gifle monumentale.
Françoise Dolto en Madame Loyale qui serine l'aventure d'être soi-même. J'avais tout lu d'elle, jusqu'aux recoins de L'image inconsciente du corps (le seul vrai texte théorique avec sa thèse), pas si facile, pas bien compris. Pas non plus les livres apocryphes que des gens qui l'avaient côtoyée, concoctaient et ne marchaient plus, au moins sur moi. Ils cherchaient la matière, ils avaient perdu une énergie. Gallimard qui rafle la mise, les oeuvres complètes de la Dame, avec des livres plutôt moches comme on s'éloigne. Enterrés.
Et pourtant quelque chose dans Françoise Dolto martelait comme si ça n'était pas si différent de cette « normalité » dont il avait toujours été question puisque nous étions entre ses griffes.

Je voyais beaucoup de gens abattus, fatigués et pour certains presque déjà fantomatiques, l'ombre d'eux-mêmes et à n'importe quel âge. Une fois accueillie cette folie nous décime. Qu'est-ce qu'il reste à faire ? Cela reste ma question. Éperdue.
Je m'agitais en espérances, ils me regardaient avec bienveillance – comme si j'étais un peu folle, la folle des fous – qui sont happés comme s'ils voulaient profiter de mes élans, afin que la fête ne finisse pas tout de suite. Et tout casser pour que ça s'arrête.
La voilà la grande excuse, le truc génial qui nous conduira à une solitude de retraités bien avant l'heure : « C'est la maladie... » et nous cloue plus sûrement au pilori, comme si douze jurés avaient crié « Coupable ! ».
A l'évoquer, elle devient hydre et de plus en plus. Je regarde encore parfois le Forum et toujours les mêmes interrogations. Principalement le nouveau médoc en vogue, quelques cris, quelques soupirs, la note définitivement blessée.

Je créais deux forums dont le Procureur fit partie chaque fois.
Nous nous rencontrions aussi une fois par semaine, avec une autre fille de ce Forum. L'appartement était agréable et nous parlions de nous, de cette affaire de folie dont le mot seul les hérissait. Nous aimions ces rencontres plutôt vraies.
Elles finirent en jalousie que je ne comprendrai pas, refusant que de tels moments je les vive soi-disant avec d'autres gens. Comme si c'était les mêmes, comme si c'était possible, comme si mon enthousiasme les chassait. Comme s'ils allaient perdre. Mais quoi ?
Ils l'ont fait. Casser comme des mômes quelque chose qui était (pour moi seule ?) le début d'une belle aventure. Les deux étant intelligents, curieux, inventifs, avec des tocs comme nous en avions tous. Suis-je donc un supplice ?
Ils se confiaient à moi. C'est cela je crois qui les faisaient reculer après. Les névrosés fonctionnent sur ce point de la même manière et réagissent seulement autrement, mais aussi violemment. Je leur volais quelque chose ou les en privais.

Le procureur.
J'avais l'impression d'un film, pas autrement, quand il me raconta, au moins à deux reprises – mais il y a des choses qu'on a du mal à entendre, tous – une sorte d'histoire fabuleuse, avec des monstres qui le hantaient. Sur dénonciation d'un des membres de sa famille, tous les participants à un mariage furent abattus. Comme une scène du 1900 de Bertolucci... Au moment où il me le racontait, j'avais aussi le sentiment de ne pas comprendre, comme si les tueurs et les tués étaient les mêmes. Maintenant j'en arrive même à penser que ce serait seulement imaginé, inventé jusque-là. Mais de toute manière je ne l'interrogeais pas plus avant sinon à rencontrer une faille qui pourrait être trop douloureuse et dangereuse.

Je m'interroge moi-même constamment à propos de l'arrivée de la famille de mon père en France (dont je ne sais presque rien) aux environs de 1927. C'était du Mussolini en plein et ces gens ne seraient venus que pour bosser à la mine sous un ciel le plus souvent gris ?
Je reste émerveillée de découvrir à Cesena, une ville de Vénétie, le jardin de ma tante Agatha, une des soeurs de mon père restée en Italie. Le raisin en treille nous couvrait d'une ombre généreuse, ponctuée de rais de lumière. Les poules portaient des lunettes vertes pour qu'elles ne se battent pas entre elles. Nous y jouions à un jeu italien avec des spade, des épées, des couronnes et des coupes, ces figures que l'on retrouve dans le Tarot de Marseille. Un jeu super dont j'ai très vite oublié les règles. Perdu comme les paroles de La Chanson Italienne (la même que chante François Cavanna à la fin d'un documentaire le concernant).
J'ai vu aussi la ferme d'un des frères de mon grand-père. Ses autres frères dont ma mère disait qu'ils avaient été métayers, quelque chose comme ça, et seraient partis qui en Pennsylvanie et les autres en Moselle (sic)... Là où il y avait des mines. Une ferme bien trop petite ça s'est sûr, pour y loger tout le monde. Ces aventuriers troquaient la beauté paisible des villages de Vénétie contre des villes de brumes et de pluies. Contre les coups de grisou.
En voiture avec les parents, nous la chantions justement durant les longues traversées de la France au moment des vacances cette Chanson italienne. Et nous l'aimions tous tout particulièrement, et dont j'ai oublié les paroles aussi, mais que j'ai retrouvée sur le net. J'ai découvert au moins qu'il s'agissait d'une chanson de partisan. Un truc magnifique que nous chantions à plusieurs voix. Des moments tout à fait heureux. Des paroles qui à part « la montagna » ne nous disaient pas grand chose.

J'ai le souvenir d'un reportage sur les Italorrains et comme un père racontait comment il s'était appliqué à ne pas apprendre l'italien à ses enfants. C'est la honte ou l'assimilation heureuse ? Ou encore un homme que j'ai rencontré par hasard et qui avait cultivé le bon accent français, ahuri ou dépité que j'ai décelé son Italie cachée. Ma ! Pourquoi ?
J'ai connu Angelo le frère aîné de 7 ans de mon père. Il avait un accent italien à peu près comme le père de Cavanna qui le transcrit si bien dans Les Ritals. J'étais perplexe et que ces mêmes frères soient à ce point de la voix différents. Et physiquement autant. L'accent de mon oncle comptait cette pointe de ridicule avec des accents de détresse. Lui et mon père, deux univers et qui se rencontraient quand ? Un homme de la terre contre un homme des villes. Esau et Jacob, c'était comme un morceau de cette histoire aussi.
Je voulais dire au procureur d'être clément et que son histoire n'en faisait pas un robot programmé. Il aurait aimé l'entendre. Il n'y parvenait pas.
C'est « sa maladie ».

Je m'associe à lui dans mon deuxième forum. Il a tellement dit qu'il ne savait pas quoi faire pour bien faire. Il m'impose une troisième laronne, une fille que je n'apprécie pas du tout. Euphèbe (?) c'était son pseudo. Et j'ignorais quel type de rapport il entretenait avec elle. Ils démoliront. C'était foutu d'avance, son choix le disait.
Il (me) démolira principalement. Vite. Le temps de quelques engueulades mémorables entre tous. J'ai fini piégée par le Procureur qui connaissait mieux les trappes informatiques que moi. Encore une chose dont il aurait pu tirer profit.
Perdue, je fais exploser ce forum comme on dézingue un avion en plein vol. Personne ne m'a aidé. Comme si en leur disant que chacun avait sa place, à la fin, et comme si c'était des mots insupportables à tous. Ils m'avaient happé avec ferveur et me lâchaient finalement insupportable à eux aussi, finalement soulagés. Retourner au ronron de notre principal pare-balle, la maladie.
Ils inventèrent un nouveau forum, « L'art des liens »... un truc qui restera lettre morte. Peut-être est-il là encore question d'une énergie qui essayerait de ne pas se consumer ?
Je vois le Procureur, au centre de la table. Il lève son verre en regardant sa femme. Tout à coup tout tombe, tout se casse en un instant. Il tire.
A chacun son Italie.

Un jour je l'entends le Procureur. Cette fois là j'ai su, j'ai simplement compris.
Il est haletant, furieux, tremblant, hors de lui, tentant de cacher la vraie crise hystérie qui le tient, un pain qui serait parti si nous avions été en face. Une peur criminelle. Une tenaille, l'enfermement, dont il ne sait rien ou peut-être justement quelque chose qu'il ne partagerait pas. De toute manière le véritable internement est plus effrayant que la peur qu'on a de lui.
Enfermé. Épouvante toute entière. Menace qui hante pourtant chacun (et les normaux tout autant ou même plus) et se protège à sa façon. J'avais oublié quelque chose d'essentiel. Quoi ?
Il pense terrorisé que la troisième personne avec qui nous passions nos après-midi heureuses, veut le faire interner. Une engueulade entre eux, un mauvais tour d'elle et une menace en l'air en quelque sorte. L'air de cette personne qui jouait ainsi. Et menacer en ce domaine n'a rien de réjouissant.
Enfermé !
« Donne-moi le numéro des parents de X. ! Allez vite ! » Comme on vous met un revolver sous la tempe. Il hurle, joue, essaye de se calmer, écume, tripote la langue de sa terreur. Et donner des noms et des adresses ou le téléphone, rappelle de vieux souvenirs que l'on préfère judicieusement mettre sous le tapis.
Le Procureur s'est trahi.

J'avais toujours trouvé cette chanson de Goldman énervante et qui disait que nous ne saurions pas dans l'Histoire si nous serions du bon côté. Le côté du courage et c'est difficile. Et je ne comprenais pas très bien – et me posant la question depuis un HP, la réponse était forcément spécieuse. Et si je restais fidèle simplement à moi-même pourtant téléportée dans cette vieille histoire de guerre et de malheur ? Ma mère cassait les murs des abris, entre les caves, en criant aux femmes de se calmer et de se taire. Elle avait 18 ou 19 ans. Je sais bien que c'est dans mes cordes et on m'y renvoiera. Il n'est jamais l'heure de criailleries idiotes, d'hystérie collective. Elle avait 18 ou 19 ans. J'ai pas l'intention de copier. Mais c'est quand on a été emmuré qu'on se souvient.

Le Procureur en alerte maximale. « Donne-moi ce numéro ! » Ton méchant, demande méchante. L'hydre de celui qui ne sauvera que sa peau, jamais, toujours. C'est horrible et me laisse à penser.

Je suis plus aimante que rancunière contrairement à ce que je peux dire justement. Et c'est cela que je dois toujours garder en mémoire. On peut même ne pas haïr les lâches et les trouillards.
Il informa le mari de la troisième de nos entretiens, que celle-ci était bien plus gravement malade qu'elle ne le laissait supposer.
« Schizophrène ! » Qu'est-ce qu'on casse avec ça ? Pas une patte de canard.
Un scoop qui finira en pétard mouillé et en dira toujours plus, sur lui.
Pas interné, et pourtant, je ne sais comment il devrait renouer avec lui-même. Celui qui rien qu'au mot de torture, donne les noms et les listes. Et y échappera. C'est comme cela que l'on grouille. Psychotique ou pas.
"Le procès" film de Orson Wells




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