TROFIMOV
: Elle ne devrait pas se mêler de ce qui ne la regarde pas. De tout
l'été, elle ne nous a pas laissés en paix, Ania et moi, de peur
d'une romance entre nous. En quoi ça la concerne ? En plus, je n'y
ai même jamais songé. Je suis si loin d'une telle vulgarité. Nous
sommes au-dessus de l'amour !
La
Cerisaie
Anton
Tchekhov (1860-1904)
L'Italie retrouvée.
On dit beaucoup, et pas seulement
Boris Cyrulnik, que les psychotiques ne sauraient pas mentir, par
exemple. C'est faux et c'est une bonne blague de plus. Je ne suis pas
sûre de comprendre. Ou peut-être n'ai-je pas la bonne définition
du mensonge.
Les psychotiques sont un monde
dans un monde et où la diversité y a autant sa place jusqu'au
mensonge, la brutalité, la mort. Comme ailleurs. Sinon qu'elle
s'exprime autrement mais brûle autant.
On m'avait dit aussi, tiré de je
ne sais quelle lecture en diagonale, que les
psychotiques seraient des saints.
Un truc dans Lacan que j'ai cherché sans trouver. Une généralité
audacieuse qui m'arrangeait drôlement. J'allais rencontrer le monde
des bisounours. Et je voulais y croire. J'aime me tenir sur des
hauteurs idiotes.
Et quand je me mets une idée
dans le crâne...
J'en étais arrivée à penser
que cette tare douloureuse, ce qui était irréparable et
définitivement moche, avait son issue. Nous aussi avions alors notre
ordre de route et sa feuille. Des saints ? Pourquoi ? Et
pourquoi pas, ça m'arrangeait bien. Parce qu'ils ne sauraient ni
être menteur ni méchant. On va le voir.
Le néant dans lequel ils nous
confinent, comme si l'étiquette de dingue rassemblait une seule et
même chose obscure, la seule folie qui annule tout et toutes les
nuances affreuses parfois et décisives.
Quand
nous nous sommes rassemblés, reconnus et grâce
au net,
j'ai bien cru que les lendemains radieux étaient venus. J'allais
arrêter de me poser la question du mal. Quand même ! On n'est
pas des pervers... La perversion traverse tout et n'importe qui, elle
s'additionne aux malheurs, si on veut compter.
L'une des premières personnes
que je rencontrais, en vrai, schizophrène de son état – la
cerbère du forum très privé d'Atoute réservé justement
exclusivement aux vrais schizophrènes, plus fragiles disaient-ils,
mais dont on pouvait lire toutes les interventions à ciel ouvert.
Elle bossait par ailleurs à un haut poste chez le France Télécom
d'alors. A cette l'époque où on n'arrêtait pas de s'y suicider,
vers le milieu des années 2000.
Elle avait l'air forte et
déterminée, sûre d'elle. Après le déjeuner, nous faisons une
petite halte dans un café sous les arbres.
La voilà soudain les yeux dans
le vague, entrant en elle-même ou quelque chose de bien plus
étrange.
Je me demande si elle ne me fait
pas une démonstration de cette schizophrénie qu'elle sait si bien
mesurer chez les autres puisque c'est elle qui donne les
laissez-passer. Et pour voir quoi ? Une peur quelconque ?
Me voir embarrassée ? Ce fût le cas. Et elle s'excusait le
lendemain. Roulée dans la farine, un métier. Suis-je aussi stupide
qu'on se décide de tenter de jouer un tel jeu, les normaux ou les
autres ? Ça commence bien...
Oui, l'Italie c'est ce que nous
avons reconnu lui le procureur et moi, au premier coup d’oeil. Un
pétillement de l'iris. Mais quelle Italie ? On va en parler.
Cette Italie dans nos regards, comme si nous avions forcément
quelque chose à partager. Et c'était le cas. Des Pays, comme une
logique en nous. Un passé que nous ignorions, et se rejouait sans
que nous le sachions vraiment. Même si l'un et l'autre nous avions
des pistes.
Le procureur s'avançait aussi
amène qu'il le pouvait, mais soudain, aussi vite qu'un
transformiste, il pensait que vous étiez son pire ennemi. Changement
à vue d’oeil qui aurait épaté les contorsionnistes. Mais au
début, ni même lui d'ailleurs ne le savait.
Nous avons commencé à parler
avec un tel bonheur et de cette Italie qui nous soudait. Il avait un
petit appartement formidable (avec un jardin) dans le 19e, un HLM
parisien, et payant à peu près 40€ chaque mois pour s'acquitter
de son loyer. Pour nous tous et lui c'était Byzance.
Il semblait ouvert, généreux.
Je lui apprenais qu'astrologiquement il avait un thème astral
tellement chanceux, si aussi rarement chanceux à ce point. Et bien
ça n'avait pu seulement que le conserver dans cette paresse dont-il
était fait, satisfait presque et pourtant tellement envieux, on y
viendra aussi, peut-être. Un trait de caractère au sillon profond.
Mais la chance peut-être aussi
traître que la lose. Un jour on s'aperçoit qu'à force de facilités
on a fait que du sur place, attendant seulement que le destin vous
fasse encore prendre la meilleure voie et pour vous seul. Laisser
faire sans direction puisque ça tourne toujours bien, finalement.
C'est ça qu'il avait fait de sa chance, un noman's land qui
finissait en fâcheries dingues parfois. Dont il se foutait, les
choses s'arrangeraient naturellement.
Il était tout de même malade,
ce qui est loin d'être une chance. Et issu d'un milieu plutôt
misérable – l'hérédité finissait gravement responsable – et
qui lui faisait horreur, dont-il essayait de parler avec une sorte de
distance, dont il avait principalement honte.
Mais drapé dans un costume de
procureur, il dépassait, allait au-delà d'un ancêtre qui aurait
vraiment eu cette place-là. De procureur. Il aurait voulu chasser
cette erreur d'un monde auquel il n'avait jamais appartenu et d'un
revers. Mais bientôt je découvrais que les choses n'étaient comme
d'habitude pas aussi simples, n'étaient pas les mêmes, pas
semblables à ce que l'on pouvait dire d'elles.
Monsieur
Cyrulnik vous avez largement tort. Les psychotiques savent aussi très
très bien mentir. Vous n'avez vu que des hospitalisés ou quelque
fois certains de ceux qui en sortent, seulement de l'hôpital, et
vous jouent bien des tours croyez-moi. On est tous plus menteurs les
uns que les autres, à tâtonner des réponses en espérant qu'elles
ouvrent les portes. Autant que les fameux informateurs
des premiers anthropologues. De la rigolade et se moquer de tous ces
savants qui collectaient seulement des renseignements, sans même
apprendre la langue de leurs objets d'études. On le sut tard.
Un jour ensemble, le procureur
s'exclame : « Tu parles comme ça à ta mère ?! »
Et je n'ai pas compris, sans l'interroger plus avant, comme parfois.
Comme des clignotants qui s'allument et ne s'éteindront que quand on
sait qu'un danger vient de passer. Comme on ne réveille pas les
volcans impunément. S'il le dit...
Le procureur était disait-il, et
là cela devait être vrai, suivi par un psychiatre de renom qu'il
n'avait besoin de voir qu'à peu près une fois par an, peut-être
moins ou un peu plus, et grâce à qui il avait certaines ordonnances
en cas de panique. Puisqu'il racontait aussi que presque chaque été,
et quand il descendait aux environs de Nice, le région de ses
parents où il n'avait jamais vraiment l'impression d'être reçu,
l'ayant sans doute espéré, chaque fois ça finissait en errances
folles. Il en arrivait à déjanter quelques jours, et reprenait un
traitement qui calmait assez vite le jeu. Être capable de se
détecter ainsi n'est pas donné à tout le monde. Il savait et se
soignait presque seul.
Sinon le reste de l'année il ne
prenait quasiment pas de médicaments – nous étions à la fois
étonnés et admiratifs. Il commençait à fumer des joints à partir
17 heures environ, une heure où il n'imaginait plus avoir à sortir.
Et c'était sa principale médication.
Il
pouvait être alors réellement zen, au moins en avoir l'apparence.
Mais il conservait certains des effets secondaires du cannabis, pour
quelques uns et seulement au début pour d'autres, de cette parano
qui nous prend parfois ou en particulier quand on sort. Tout le monde
va deviner et que nous sommes dans l'illégalité...
« Vérité en deça des Pyrénées erreur au-delà... »
comme le disait Montesquieu. Alors contenir la peur d'être percé à
jour. Le délit de fumer et la crainte de ne plus contrôler
exactement ses réactions entre autre ralenties, la défonce qui
ramène à l'étrange d'où nous sommes. Ça va se voir. Tout est là.
Et contre le « vin-mauvais » en vente libre.
Le procureur était chaleureux et
intelligent. Il vint pourtant vite le temps où il ne me chercherait
que des noises pour je ne sais quel profit ? pour quel plaisir ?
quel malheur ? Et à tous. Comme à la recherche d'une voie.
C'était drôle jusque-là
d'avoir rencontré tant de fadas et en avoir fait des fêtes en
quelque sorte de retrouvailles, au début, et que j'organisais
principalement, qui se déroulaient dans des cafés autour de chez
moi. Nous, eux plus, à moitié gênés de se trouver entre nous,
rassemblés, et peut-être à finir montrés du doigt par les autres
qui allaient deviner. La parano de chaque fou : être lu sans le
savoir.
J'ai vu que des rencontres
organisées de jeunes autistes existent aussi, autres bons fruits de
l'internet. Même si cela peut être décevant cela change
complètement la donne.
En folie, j'ai l'énergie du
désespoir. En folie, je veux surtout que tout le monde s'en sorte,
mieux qu'ils ne l'avaient prévu. En folie j'invente au fur et à
mesure. Et suis prête à tout.
Ensuite je rencontre C. une fille
de ce même Forum qui nous avait tous réunis, et que je retrouve au
Saint-Jean, un café encore à deux pas de chez moi. Elle est belle
et vive. J'avais pu constater qu'astrologiquement, nous étions en
phase, sinon qu'elle avait pratiquement le même thème qu'une
personne si proche de moi et s'était défenestrée, il y a si
longtemps. Puisque c'était avant ma maladie. Et qu'après le temps
compte double. Agitée aussi.
Cette fille que je rencontrais,
cette amie qu'elle devint, était supposée arrêter de bosser et
obtenir l'Allocation pour Adulte Handicapé qui allait prendre le
relais. Elle était au désespoir. Je ne comprenais pas. Elle qui me
sautait dans les bras comme une vraie enfant de trois ans, drôle
avec un très beau sourire d'enfant, là elle tombait. D'une
désignation dont elle ne mesurait pas tout, quand j'ai toujours
considéré cette allocation comme un dû. D'une résignation
finalement qui pouvait l'entraîner loin d'elle-même.
Être
désignée ainsi comme folle, là c'était vraiment pour elle la
goutte d'eau de trop, qui l'abîme et le fait lentement comme quelque
chose qui ronge.. Borderline,
on lui avait dit ça jusque-là. Le fourre-tout le plus pratique
qu'on ait trouvé. Au bord. Mais rassurant finalement comme un
fourbi.
Elle qui avait rencontré la
maladie bien plus jeune que moi. Qui était parvenue à rester un an
dans une clinique, comme si elle était le meilleur refuge.
Impensable pour moi.
Je
la vis perdre pied au fil des années, son grain. Travailleuse
handicapée, c'est ce dont-il aurait pu être question. Mais même,
c'est le mot handicapé
qui heurte, nous trahit et nous déchire, bien plus que vous ne
l'imaginez, et tous. Passer son temps à survoler, tournoyer,
s'effondrer rien qu'à penser à notre
maladie mentale.
M'enfin c'est bien le pire, l'innommable et pour de vrai. Et finir
par ne revenir plus qu'à elle, la maladie, un bouclier qui finit par
nous éteindre.
La maladie du psychisme qui nous
afflige définitivement, nous défend, nous épie, nous ruine et nous
ronge. L'expression du rejet. Elle se pensait moins malade et ni la
boulimie-anorexie ni ce diagnostic qu'on lui avait plaqué
auparavant, ne la laissait autant dans la maison des fous. Sur le
carreau.
Sur le Forum, nous étions
classés dans la rubrique Santé-Psy, plus mélangée (dépressifs,
borderline, maniaco-dépressifs, enfin tous les problèmes psychiques
souvent mal jugés, sinon la fameuse schizophrénie, le plus
difficile pour des plus fragile, d'où ce Forum spécifique dont je
parlais plus haut).
Pas aussi folle... On aurait dit
qu'elle se tordait de l'âme comme on le dit de la douleur et des
vers. Et je pense que c'est quand elle a constitué son dossier
COTOREP qu'elle est entrée en dépression durable.
Mais nous tous. Au centre de tous
les diagnostics, il y a notre refus et de la mort dans l'âme, d'être
tous foutus pour jamais.
Alors nos fêtes avaient la joie
triste. Au coeur de Montmartre, se rassembler c'était aussi essayer
de faire croire que nous prenions le soleil en terrasse comme tout le
monde. Combien de gens ai-je entendu me dire quand j'évoquais nos
maux de l'innommable à voix plutôt haute : « Moins fort,
ils vont entendre... » Qui ?
J'ai longtemps – et là encore
Françoise Dolto zone dans ces parages et c'est rare qu'elle ne soit
pas si loin, mon fil rouge – examiné ma honte d'être folle,
puisque c'est ce qui arrive en premier. Gifle monumentale.
Françoise
Dolto en Madame Loyale qui serine l'aventure d'être soi-même.
J'avais tout lu d'elle, jusqu'aux recoins de L'image
inconsciente du corps (le
seul vrai texte théorique avec sa thèse), pas si facile, pas bien
compris. Pas non plus les livres apocryphes que des gens qui
l'avaient côtoyée, concoctaient et ne marchaient plus, au moins sur
moi. Ils cherchaient la matière, ils avaient perdu une énergie.
Gallimard qui rafle la mise, les oeuvres complètes de la Dame, avec
des livres plutôt moches comme on s'éloigne. Enterrés.
Et pourtant quelque chose dans
Françoise Dolto martelait comme si ça n'était pas si différent de
cette « normalité » dont il avait toujours été
question puisque nous étions entre ses griffes.
Je
voyais beaucoup de gens abattus, fatigués et pour certains presque
déjà fantomatiques, l'ombre d'eux-mêmes et à n'importe quel âge.
Une fois accueillie
cette folie nous décime. Qu'est-ce qu'il reste à faire ? Cela
reste ma question. Éperdue.
Je
m'agitais en espérances, ils me regardaient avec bienveillance –
comme si j'étais un peu folle, la
folle des fous
– qui sont happés comme s'ils voulaient profiter de mes élans,
afin que la fête ne finisse pas tout de suite. Et tout casser pour
que ça s'arrête.
La
voilà la grande excuse, le truc génial qui nous conduira à une
solitude de retraités bien avant l'heure : « C'est
la maladie... »
et nous cloue plus sûrement au pilori, comme si douze jurés avaient
crié « Coupable ! ».
A l'évoquer, elle devient hydre
et de plus en plus. Je regarde encore parfois le Forum et toujours
les mêmes interrogations. Principalement le nouveau médoc en vogue,
quelques cris, quelques soupirs, la note définitivement blessée.
Je créais deux forums dont le
Procureur fit partie chaque fois.
Nous nous rencontrions aussi une
fois par semaine, avec une autre fille de ce Forum. L'appartement
était agréable et nous parlions de nous, de cette affaire de folie
dont le mot seul les hérissait. Nous aimions ces rencontres plutôt
vraies.
Elles finirent en jalousie que je
ne comprendrai pas, refusant que de tels moments je les vive
soi-disant avec d'autres gens. Comme si c'était les mêmes, comme si
c'était possible, comme si mon enthousiasme les chassait. Comme
s'ils allaient perdre. Mais quoi ?
Ils l'ont fait. Casser comme des
mômes quelque chose qui était (pour moi seule ?) le début d'une
belle aventure. Les deux étant intelligents, curieux, inventifs,
avec des tocs comme nous en avions tous. Suis-je donc un supplice ?
Ils se confiaient à moi. C'est
cela je crois qui les faisaient reculer après. Les névrosés
fonctionnent sur ce point de la même manière et réagissent
seulement autrement, mais aussi violemment. Je leur volais quelque
chose ou les en privais.
Le procureur.
J'avais
l'impression d'un film, pas autrement, quand il me raconta, au moins
à deux reprises – mais il y a des choses qu'on a du mal à
entendre, tous – une sorte d'histoire fabuleuse, avec des monstres
qui le hantaient. Sur dénonciation d'un des membres de sa famille,
tous les participants à un mariage furent abattus. Comme une scène
du 1900
de Bertolucci... Au moment où il me le racontait, j'avais aussi le
sentiment de ne pas comprendre, comme si les tueurs et les tués
étaient les mêmes. Maintenant j'en arrive même à penser que ce
serait seulement imaginé, inventé jusque-là. Mais de toute manière
je ne l'interrogeais pas plus avant sinon à rencontrer une faille
qui pourrait être trop douloureuse et dangereuse.
Je m'interroge moi-même
constamment à propos de l'arrivée de la famille de mon père en
France (dont je ne sais presque rien) aux environs de 1927. C'était
du Mussolini en plein et ces gens ne seraient venus que pour bosser à
la mine sous un ciel le plus souvent gris ?
Je
reste émerveillée de découvrir à Cesena, une ville de Vénétie,
le jardin de ma tante Agatha, une des soeurs de mon père restée en
Italie. Le raisin en treille nous couvrait d'une ombre généreuse,
ponctuée de rais de lumière. Les poules portaient des lunettes
vertes pour qu'elles ne se battent pas entre elles. Nous y jouions à
un jeu italien avec des spade,
des épées, des couronnes et des coupes, ces figures que l'on
retrouve dans le Tarot de Marseille. Un jeu super dont j'ai très
vite oublié les règles. Perdu comme les paroles de La
Chanson
Italienne
(la même que chante François Cavanna à la fin d'un documentaire le
concernant).
J'ai vu aussi la ferme d'un des
frères de mon grand-père. Ses autres frères dont ma mère disait
qu'ils avaient été métayers, quelque chose comme ça, et seraient
partis qui en Pennsylvanie et les autres en Moselle (sic)... Là où
il y avait des mines. Une ferme bien trop petite ça s'est sûr, pour
y loger tout le monde. Ces aventuriers troquaient la beauté paisible
des villages de Vénétie contre des villes de brumes et de pluies.
Contre les coups de grisou.
En
voiture avec les parents, nous la chantions justement durant les
longues traversées de la France au moment des vacances cette Chanson
italienne.
Et nous l'aimions tous tout particulièrement, et dont j'ai oublié
les paroles aussi, mais que j'ai retrouvée sur le net. J'ai
découvert au moins qu'il s'agissait d'une chanson
de partisan. Un truc magnifique que nous chantions à plusieurs voix.
Des moments tout à fait heureux. Des paroles qui à part « la
montagna »
ne nous disaient pas grand chose.
J'ai
le souvenir d'un reportage sur les Italorrains
et comme un père racontait comment il s'était appliqué à ne pas
apprendre l'italien à ses enfants. C'est la honte ou l'assimilation
heureuse ? Ou encore un homme que j'ai rencontré par hasard et
qui avait cultivé le bon accent français, ahuri ou dépité que
j'ai décelé son Italie cachée. Ma !
Pourquoi ?
J'ai
connu Angelo le frère aîné de 7 ans de mon père. Il avait un
accent italien à peu près comme le père de Cavanna qui le
transcrit si bien dans Les
Ritals.
J'étais perplexe et que ces mêmes frères soient à ce point de la
voix différents. Et physiquement autant. L'accent de mon oncle
comptait cette pointe de ridicule avec des accents de détresse. Lui
et mon père, deux univers et qui se rencontraient quand ? Un
homme de la terre contre un homme des villes. Esau et Jacob, c'était
comme un morceau de cette histoire aussi.
Je voulais dire au procureur
d'être clément et que son histoire n'en faisait pas un robot
programmé. Il aurait aimé l'entendre. Il n'y parvenait pas.
C'est « sa maladie ».
Je m'associe à lui dans mon
deuxième forum. Il a tellement dit qu'il ne savait pas quoi faire
pour bien faire. Il m'impose une troisième laronne, une fille que je
n'apprécie pas du tout. Euphèbe (?) c'était son pseudo. Et
j'ignorais quel type de rapport il entretenait avec elle. Ils
démoliront. C'était foutu d'avance, son choix le disait.
Il (me) démolira principalement.
Vite. Le temps de quelques engueulades mémorables entre tous. J'ai
fini piégée par le Procureur qui connaissait mieux les trappes
informatiques que moi. Encore une chose dont il aurait pu tirer
profit.
Perdue, je fais exploser ce forum
comme on dézingue un avion en plein vol. Personne ne m'a aidé.
Comme si en leur disant que chacun avait sa place, à la fin, et
comme si c'était des mots insupportables à tous. Ils m'avaient
happé avec ferveur et me lâchaient finalement insupportable à eux
aussi, finalement soulagés. Retourner au ronron de notre principal
pare-balle, la maladie.
Ils
inventèrent un nouveau forum, « L'art
des liens »...
un truc qui restera lettre morte. Peut-être est-il là encore
question d'une énergie qui essayerait de ne pas se consumer ?
Je vois le Procureur, au centre
de la table. Il lève son verre en regardant sa femme. Tout à coup
tout tombe, tout se casse en un instant. Il tire.
A chacun son Italie.
Un jour je l'entends le
Procureur. Cette fois là j'ai su, j'ai simplement compris.
Il est haletant, furieux,
tremblant, hors de lui, tentant de cacher la vraie crise hystérie
qui le tient, un pain qui serait parti si nous avions été en face.
Une peur criminelle. Une tenaille, l'enfermement, dont il ne sait
rien ou peut-être justement quelque chose qu'il ne partagerait pas.
De toute manière le véritable internement est plus effrayant que la
peur qu'on a de lui.
Enfermé.
Épouvante toute entière. Menace qui hante pourtant chacun (et les
normaux
tout autant ou même plus) et se protège à sa façon. J'avais
oublié quelque chose d'essentiel. Quoi ?
Il
pense terrorisé que la troisième personne avec qui nous passions
nos après-midi heureuses, veut le faire interner. Une engueulade
entre eux, un mauvais tour d'elle et une menace en
l'air
en quelque sorte. L'air de cette personne qui jouait ainsi. Et
menacer en ce domaine n'a rien de réjouissant.
Enfermé !
« Donne-moi le numéro des
parents de X. ! Allez vite ! » Comme on vous met un
revolver sous la tempe. Il hurle, joue, essaye de se calmer, écume,
tripote la langue de sa terreur. Et donner des noms et des adresses
ou le téléphone, rappelle de vieux souvenirs que l'on préfère
judicieusement mettre sous le tapis.
Le Procureur s'est trahi.
J'avais toujours trouvé cette
chanson de Goldman énervante et qui disait que nous ne saurions pas
dans l'Histoire si nous serions du bon côté. Le côté du courage
et c'est difficile. Et je ne comprenais pas très bien – et me
posant la question depuis un HP, la réponse était forcément
spécieuse. Et si je restais fidèle simplement à moi-même pourtant
téléportée dans cette vieille histoire de guerre et de malheur ?
Ma mère cassait les murs des abris, entre les caves, en criant aux
femmes de se calmer et de se taire. Elle avait 18 ou 19 ans. Je sais
bien que c'est dans mes cordes et on m'y renvoiera. Il n'est jamais
l'heure de criailleries idiotes, d'hystérie collective. Elle avait
18 ou 19 ans. J'ai pas l'intention de copier. Mais c'est quand on a
été emmuré qu'on se souvient.
Le Procureur en alerte maximale.
« Donne-moi ce numéro ! » Ton méchant, demande
méchante. L'hydre de celui qui ne sauvera que sa peau, jamais,
toujours. C'est horrible et me laisse à penser.
Je suis plus aimante que
rancunière contrairement à ce que je peux dire justement. Et c'est
cela que je dois toujours garder en mémoire. On peut même ne pas
haïr les lâches et les trouillards.
Il informa le mari de la
troisième de nos entretiens, que celle-ci était bien plus gravement
malade qu'elle ne le laissait supposer.
« Schizophrène ! »
Qu'est-ce qu'on casse avec ça ? Pas une patte de canard.
Un scoop qui finira en pétard
mouillé et en dira toujours plus, sur lui.
Pas
interné, et pourtant, je ne sais comment il devrait renouer avec
lui-même. Celui qui rien qu'au mot de torture, donne les noms et les
listes. Et y échappera. C'est comme cela que l'on grouille.
Psychotique ou pas.
"Le procès" film de Orson Wells |
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